20 décembre 2014 Patrick

Axolot #8 : Fake !

Au début du XXème siècle, le Docteur Peter Ameisenhaufen, un zoologiste allemand, se consacre à la recherche d’animaux inconnus de la science. Il produit une documentation considérable qui contient des photos de créatures étranges, comme cette chimère à corps de singe, ou ce serpent vertébré à 12 pattes. Ameisenhaufen disparait mystérieusement en 1955, et ses archives ne sont découvertes que 30 ans plus tard. En 1968,  l’union soviétique envoie le vaisseau Soyouz 2 dans l’espace. A son bord se trouve le colonel Ivan Istochnikov, un cosmonaute qui disparait lors d’une manœuvre à l’extérieur du vaisseau. Embarrassées par cet incident, les autorités russes déclarent que Soyouz 2 était inhabité, et vont jusqu’à effacer toute trace de l’existence d’Istochnikov. Il faut attendre la chute du communisme pour que des chercheurs indépendants découvrent la vérité, et dévoilent des photos de l’officier perdu. Si vous vous demandez quel est le point commun entre ces deux histoires, c’est simple : elle sont totalement fausses.

Les documents, les faits et les images ont été créés de toute pièce par Joan Fontcuberta, un artiste espagnol spécialisé dans la falsification. En détournant les codes du réel, ses œuvres nous poussent à questionner nos certitudes. Dans cet épisode, je vous invite à entrer dans le monde de l’imitation, du faux semblant, de l’imposture, bref, du simulacre. Vous allez découvrir à quel point le faux est une composante essentielle de la réalité, que ce soit dans l’histoire ou la nature.

Opération Fortitude

Pendant la seconde guerre mondiale, le rôle du faux a été déterminant. En 1942 par exemple, alors que des menaces d’attaques japonaises planaient sur la Californie, les autorités militaires chargèrent le colonel John F Ohmer de camoufler plusieurs points sensibles le long de la côte pacifique. Et puisqu’il s’agissait de tromper l’ennemi, Ohmer fit appel à la plus grande des fabriques à illusions : Hollywood. Décorateurs, peintres et charpentiers furent envoyés par les studios de cinéma pour rendre plusieurs bases invisibles. Leur plus grande réussite fut sans doute la transformation de l’usine aéronautique de Burbank : tous les bâtiments furent recouverts par des paysages factices peints sur des toiles, et vue d’avion, la zone ressemblait à une paisible banlieue rurale. Des voitures en plastiques,  de faux arbres et de fausses fermes furent même placées dans le décor pour simuler le relief. Et comme le colonel Ohmer n’était pas du genre à faire les choses à moitié, il demanda à des employés de l’usine de se balader sur de fausses allées, de déplacer des voitures ou encore d’étendre du linge pour rendre le quartier plus vivant. L’incroyable camouflage de la Californie s’arrêta en même temps que les risques d’attaques nippones.

Mais à la même époque, en Europe, se préparait une supercherie militaire bien plus importante. Si importante, qu’elle changea probablement le cours de l’histoire. Son nom : Fortitude. Initiée par les services secrets britanniques, l’opération Fortitude avait pour but de tromper les allemands sur le lieu et la date du débarquement. Pour faire croire à l’ennemi qu’ils comptaient débarquer dans le Pas-de-Calais, les alliés créèrent un groupe d’armée fictif, le FUSAG, qu’ils postèrent sur la côte sud-est de l’Angleterre. Cette armée fantôme était constituée de chars gonflables, de canons en contreplaqué, de centaines de faux navires, et même d’un faux complexe pétrolier. Pour faire vivre le tout, les alliés mirent en place de faux campements avec cheminées fumantes, bruits d’activité portuaire, et un intense trafic radio composé de milliers de messages préenregistrés. Les moindres détails étaient soignés, jusqu’aux insignes fabriqués spécialement pour les unités imaginaires. Enfin, le prestigieux Général Patton fut placé à la tête de cette armée factice, ce qui acheva de convaincre les allemands que le débarquement aurait bien lieu dans le Pas-de-Calais.

Le succès de l’opération Fortitude eut un impact décisif sur l’issue de la guerre, mais ce vaste plan de désinformation n’aurait pas été aussi efficace sans l’action d’un manipulateur de génie : Joan Pujol Garcia. Les nazis faisaient pleinement confiance à cet agent espagnol, surnommé Arabel,  qui leur envoyait de précieuses informations sur l’activité des alliés grâce à son réseau d’espions. Mais en réalité, Pujol était un agent double qui travaillait pour les services secrets anglais sous le nom de Garbo, et son réseau était constitué de 27 agents parfaitement fictifs dont il écrivait lui-même les rapports. Non seulement les allemands gobaient tout ce que l’espagnol écrivait, mais en plus ils dépensaient une fortune pour financer un groupe d’espions qui n’existaient pas. Les faux rapports de Pujol poussèrent Hitler à envoyer le gros de ses troupes dans le Pas-de-Calais, alors que le sort du conflit se jouait en Normandie. Le plus fort, c’est que les nazis ne réalisèrent jamais que leur cher espion Arabel les avait dupés, et il fut la seule personne décorée à la fois par les allemands et par les alliés au cours de la seconde guerre mondiale.

 Bâtiments fantômes

Les faux bâtiments ne sont pas utiles qu’en temps de guerre. Aujourd’hui, il en existe plusieurs à travers le monde. Si vous avez vu ma précédente vidéo sur les curiosités de New York, vous vous souvenez peut être du 58, Joralemon Street : un immeuble qui se trouve dans une rue résidentielle de Brooklyn, avec un sous-sol blindé et des fenêtres entièrement noires. Cette façade étrange cache en fait un puits d’aération et un tunnel d’évacuation pour le métro de New York. On peut voir le même genre d’édifice à Paris, dans le 10ème arrondissement, au 145 rue Lafayette. L’immeuble qui se trouve à cette adresse possède un balcon, un porche, des fenêtres ouvertes, mais il est complètement creux. Sa façade camoufle une bouche d’aération géante pour le RER B. A Londres, ce n’est pas un mais deux bâtiments fantômes qui se trouvent dans la rue Leinster Gardens, aux numéros 23 et 24. Leurs portes n’ont pas de boites aux lettres, leurs fenêtres sont grisées, et derrière les facades d’1,50m d’épaisseur il n’y a qu’un gouffre qui donne sur une ligne de métro.

Alors des immeubles factices, vous me direz, c’est pas mal. Mais on peut faire mieux. Dans la baie de San Pedro, en Californie, on peut voir 4 iles qui de loin ressemblent à des stations balnéaires. Elles arborent une végétation tropicale, des bâtiments apparemment hôteliers, et même des chutes d’eau. On les appelle les îles Astronautes, car elles portent le nom de 4 astronautes américains morts en mission : Grissom, White, Freeman, et Chafee. Mais avant 1965, ces îles n’existaient pas : elles sont totalement artificielles, et elles cachent en réalité des puits de pétrole. L’opération de camouflage couta 10 millions de dollars, et elle fut confiée à un architecte spécialisé dans les parcs d’attraction. Il s’agit des seules plateformes pétrolières déguisées des Etats-Unis.

Pour placer la barre encore plus haut, il faut se rendre en Corée du Nord. Kijong Dong est un village qui se trouve juste au-dessus de la zone démilitarisée séparant Corée du Nord et Corée du Sud. Elle abrite 200 familles dans de jolis immeubles bien alignés, et on y trouve des écoles, et un hôpital. En tout cas, c’est ce que dit le gouvernement Nord-Coréen. Mais quand on observe les bâtiments de plus près, on s’aperçoit que les fenêtres n’ont pas de vitre, que les lumières fonctionnent sur minuterie, et que les seules personnes présentes sont des ouvriers de maintenance. En réalité, Kijong Dong est un village de propagande, un leurre censé tromper les habitants du village d’en face qui se trouve en Corée du Sud. Dans les années 80, le gouvernement sud-coréen érigea un mat de 100 m de haut à la frontière pour y accrocher le drapeau national. La Corée du Nord répliqua immédiatement en installant un mat de 160 m à Kijong Dong, le plus grand du monde à l’époque. Ce duel nationaliste n’était pas que visuel : jusqu’en 2004, le village fantôme diffusait des messages de propagande à travers des hauts parleurs, pour encourager les sudistes à franchir la frontière. A priori, ceux-ci n’ont jamais vraiment été convaincus.

Le géant de Cardiff

L’histoire des sciences n’est pas épargnée par les faussaires, en particulier l’archéologie. Comme dans le célèbre exemple de l’homme de Piltdown, ou des fragments de crâne découverts en 1912 firent croire à une bonne partie de la communauté scientifique qu’on avait trouvé le chainon manquant entre l’homme et le singe. Il fallut attendre 40 ans pour réaliser que les restes de l’homme de Piltdown étaient composés d’un crane du moyen âge et d’une mandibule d’orang outan. Mais l’un des cas les plus extravagants est sans doute celui du géant de Cardiff, aux Etats-unis.

En 1869, alors qu’ils creusaient un puits sur le terrain du fermier William Newell, deux ouvriers firent une découverte extraordinaire : le corps fossilisé d’un homme de 3m de haut. Très vite, les habitants de Cardiff affluèrent pour voir le géant pétrifié, à tel point que Newell commença à faire payer les visites. Les scientifiques étaient sceptiques, mais certains fondamentalistes considéraient la découverte comme une preuve que les géants mentionnés dans la Bible avaient bien existé. Ce qu’ils ignoraient, c’est qu’il s’agissait d’un canular orchestré par un certain George Hull, fabricant de cigares et cousin de Newell. Hull avait eu l’idée de fabriquer un faux géant pour voir jusqu’où irait la crédulité religieuse. Il fit donc sculpter une statue en secret, qu’il enterra derrière la ferme de son cousin avec la complicité de ce dernier. Il ne restait plus qu’à engager deux ouvriers pour creuser un puits au bon emplacement Le géant de Cardiff devint un tel phénomène qu’un homme d’affaires nommé David Hannum le racheta à Hull pour la somme de 23000 $, soit plus de 400 000 $ actuels. Phinéas Barnum, le célèbre homme de spectacle, fit alors fabriquer une réplique du géant, et il déclara que l’autre était un faux. David Hannum attaqua Barnum en diffamation, mais Georges Hull décida d’avouer son canular à la presse, et les deux géants furent finalement déclarés factices. 7 ans plus tard, un autre géant pétrifié fut découvert à Beulah, dans le Colorado. Il fut exposé quelques temps à travers les Etats-Unis, jusqu’à ce qu’on découvre qu’il s’agissait encore d’un coup de Hull, qui avait décidément de la suite dans les idées.

 Animaux imitateurs

Si vous pensez que l’imposture est le propre de l’Homme, vous allez voir que dans ce domaine, les animaux n’ont aucune leçon à recevoir. Prenez par exemple la larve de l’hemeroplanes triptolemus, un papillon qui vit dans les forêts d’Amérique centrale. Quand elle se sent menacée, cette chenille se suspend dans le vide, puis elle gonfle sa tête jusqu’à prendre l’apparence d’un petit serpent. Non seulement elle imite à la perfection les couleurs, les écailles et les yeux du reptile, mais elle pousse le réalisme jusqu’à simuler des attaques. La mante orchidée est une autre simulatrice étonnante. Cette cousine de la mante religieuse est le seul prédateur connu pour piéger ses proies en imitant une fleur. D’autres espèces utilisent leur apparence pour se camoufler dans la végétation, mais la mante orchidée est tellement douée qu’elle attire les insectes pollinisateurs encore plus que les fleurs elles-mêmes.

La technique des Leucochloridium est particulièrement tordue : ces vers parasites remontent le système digestif des escargots pour aller se loger dans leurs yeux. Une fois en place, les larves grossissent et transforment les yeux des pauvres gastéropodes en excroissances multicolores qui ressemblent à des chenilles. Les oiseaux se jettent alors dessus, en croyant avaler une proie. Et c’est exactement ce que souhaitent les Leucochlorodium : ils ne peuvent pondre leurs œufs que dans l’estomac des oiseaux. Ces derniers expulsent ensuite les œufs avec leurs fientes, qui sont mangées par les escargots. Et le cycle peut recommencer. La championne toute catégories de l’imitation animale est sans aucun doute la fascinante pieuvre mimétique. Comme les autres pieuvres, elle est capable de changer de couleur et de texture,  mais c’est la seule qui prend l’apparence d’autres animaux pour échapper aux prédateurs. La pieuvre mimétique peut imiter plus d’une quinzaine d’espèces, comme les méduses, les murènes, les serpents de mer ou encore les crabes. Et elle ne se contente pas de prendre leur aspect : elle simule aussi leur comportement. Par exemple,  pour imiter une sole, non seulement la pieuvre va aplatir son corps et regrouper ses tentacules sur un côté, mais en plus, elle va nager à la même hauteur et à la même vitesse que la sole. Le plus impressionnant étant peut-être qu’elle ne choisit pas les espèces à imiter au hasard : pour effrayer ses agresseurs, elle prend la forme de leurs prédateurs naturels. Ces capacités valent à la pieuvre mimétique d’être considérée comme une des créatures les plus intelligentes de la planète.

Le Fantôme d’Heilbronn

Pour terminer sur un registre un peu différent, je voulais vous raconter l’histoire parfaitement vraie… d’une fausse tueuse en série. Tout commence en 1993, lorsqu’on retrouve l’ADN d’une femme sur une scène de meurtre en Allemagne. La tueuse présumée disparait pendant 8 ans, puis en 2001 on trouve à nouveau son ADN sur les lieux d’un autre meurtre particulièrement barbare. S’enchaine alors une série de crimes qui vont durer jusqu’en 2009, et qui ont pour seul point commun cette femme sans visage dont on relève l’empreinte génétique dans 40 lieux différents. Braquages, cambriolages, assassinats, les crimes sont variés, et ils ne se déroulent plus seulement en Allemagne, mais à travers plusieurs pays d’Europe. Les enquêteurs sont persuadés d’avoir à faire à une experte qui joue avec eux, et plusieurs milliers de pistes sont explorées sans succès. En 2007, on retrouve une jeune policière tuée d’une balle dans la tête sur un parking d’Heilbronn, dans le sud de l’Allemagne. Une fois de plus, le même profil génétique est identifié sur les lieux. Le pays est fortement marqué par le drame, et à partir de ce moment, la mystérieuse criminelle en série sera surnommée le Fantôme d’Heilbronn. C’est en 2009, après seize ans de traque à travers l’Europe, 6 meurtres, et des dizaines de crimes, que l’énigme est enfin élucidée : La supposée tueuse était en fait une innocente employée de l’entreprise qui fabriquait les bâtonnets pour prélever l’ADN. Son propre ADN avait contaminé tout un lot de cotons tiges qui avaient ensuite été utilisés au cours des différentes enquêtes. Tous ces crimes, qui avaient mobilisé Interpol et des dizaines d’enquêteurs, n’avaient donc aucun lieu entre eux. Et le fantôme d’Heilbronn n’avait jamais existé.

Comments (16)

  1. Bob

    J’adore ! Ces histoires sont plus étonnantes et savoureuses les unes que les autres… 🙂
    Et il me semble que l’anecdote du fantôme d’Heilbronn a inspiré le scénario d’un épisode des Experts Manhattan…

  2. Alex

    Super comme d’habitude, on aimerait que ça dur toujours plus !

    Bonne continuation 🙂

  3. le vengeur

    Le seul reproche que je peux vous faire est que vos vidéos sont trop rares, j’attends toujours avec impatience votre dernier travail.

  4. Rapsodie

    J’avais énormément aimé votre livre « L’homme qui sauva le monde … » et viens de découvrir votre chaîne youtube. Les vidéos sont passionnantes et très agréables à regarder. Merci pour ces moments instructifs et étonnants à la fois !

  5. Jimmy

    Vraimet cool comme épisode… Ca fait longtemps que j’ai pas commenté vos aticles lol. Bref, cet épisode est encore une fois très bon. La dernière histoire est pour moi la plus incroyable. Ha et puis je suis content de voir que tu as sympathisé avec Antoine Daniel c’est cool ^^ Tu es en contact régulier avec lui ?

  6. Angélique

    Merci pour vos vidéos. (j’adore votre charisme, vous avez une façon de raconter que j’adore 🙂

  7. Yann

    Les vidéos et info Axolot : Toujours de très bons moments. Je les attends toujours avec impatience. Elles sont trop rares, mais l’attente fait monter le désir et on apprécie encore plus.

    MERCI

  8. Smook

    Magique ! Connaissance historique, botanique, zoologique, … Un vrai bonheur un grand merci !

  9. Comme quoi la tromperie est plus souvent positive qu’on ne le pense.

    Un autre exemple est l’effet Placebo, parfois plus puissant qu’un principe actif et quasiment dénué d’effets secondaires ! (Ça va en faire hurler certains, mais il y a cette imposture qui dure depuis plus de 200 ans et qui s’appelle Homéopathie… reste que je suis sure que son effet Placebo fonctionne bien pour certaines personnes dans certains cas… mieux qu’une molécule synthétique rejetée par le patient parfois…)

    Très beau sujet en tous cas, j’attends avec impatience le prochain !

    PS : vous savez où on peut trouver des Rolls-Royce gonflables ? (ou des Mazeratti, je suis pas difficile, mais avec la bande son qui va bien, du coup 😀 )

  10. Fa-sci-nant
    que dire d’autre ?
    J’ai excessivement hâte de voir de nouveaux articles, je suis ravie d’avoir trouvé un site qui comble mon fanatisme d’etrange et d’enigmatique autant que mes bouquins !

  11. Damien

    Bonjour Patrick et bravo pour cette chaine et ce site somptueux.

    Incidemment j’ai une question à vous poser. Je pense que, pour illustrer votre propos, vous avez placé une fausse information dans votre vidéo numéro 8. Suis-je dans le vrai ?
    Très cordialement.

  12. Orion

    Ma femme me fait remarquer quelque chose :
    concernant la « tueuse en série », du coup, c’est bien, on sait a qui appartient l’ADN mais finalement aucune des affaires (+ de 40 !) ou on la mettait en cause (bah oui, l’ADN ne trompe pas !) n’aura était résolue ??!
    ça fait froid dans le dos !
    on doute que 16 ans après ils aient rouvert les affaires en disant « oups, on s’est trompé de piste … »

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